Entreprise et intimité, quelles frontières poser ?

La fonction des ressources humaines peut-elle aborder tous les sujets dans l’entreprise ? Certaines thématiques doivent-elles rester à la porte de celle-ci ? Y a-t-il une frontière hermétique entre la vie dans l’entreprise et la vie hors de l’entreprise ?


En se posant ces différentes questions, nous abordons nécessairement la place que la fonction peut, ou doit, avoir au sein du collectif formé par les salariés au sein de la société.
Ces dernières années ont ainsi vu émerger plusieurs thématiques qui, initialement, étaient restées hors de son prisme d’action.

Prenons, par exemple, la parentalité.

Au-delà de la protection des femmes lors de la maternité, petit à petit, d’autres sujets liés aux choix des parents se sont vu offrir des lieux d’expression. Ainsi, les Chartes de la parentalité, les débats sur la présence de crèches dans les locaux de l’entreprise, ou financées par elles, les offres de soutien psychologique des parents ou du soutien scolaire des enfants… Tous ces sujets, qui relèvent d’une organisation de vie personnelle a priori, ont trouvé un lieu d’expression dans plusieurs entreprises en France comme ailleurs.

Alors, comment déterminer une éventuelle limite entre ce qui relève de l’intime, du personnel, du rien que pour soi, de ce qui peut être abordé dans l’entreprise ?

Cette question doit être posée de manière régulière car les perceptions sur le sujet évoluent. Ce qui n’était pas acceptable il y a quelques années peut le devenir avec l’évolution des connaissances ou tout simplement des approches globales sur le sujet.

Prenons un autre exemple avec la question des règles et de la ménopause. Celle-ci a vu fortement évoluer les approches à son égard.

Tabous, cachés, honteux, ces sujets n’étaient abordés que par le détour d’artifices publicitaires, notamment dans le choix de la couleur bleu pour représenter le sang. Ils reprennent aujourd’hui progressivement toute leur place. Plusieurs initiatives sont à saluer pour cela.

La lutte contre la précarité menstruelle avec la mise à disposition de protections hygiéniques, en premier lieu dans les établissements scolaires et universitaires, et à présent dans certaines entreprises, en est une d’entre elles. Faire entrer dans l’environnement professionnel ce qui relève d’un achat individuel peut susciter l’étonnement. Le mode de financement est questionnable, dans la sphère de l’entreprise, de ces protections.
Est-ce, en entreprise, de la précarité et donc relevant de la solidarité, une réponse à une situation d’urgence et donc relevant d’un achat personnel ou, autre optique, un produit d’hygiène, au même titre que peuvent l’être le savon ou le papier-toilette, bien présents dans les sociétés ?

Plus timidement, l’établissement d’un congé menstruel commence aussi à questionner les équipes RH.

Autre illustration, avec la conférence organisée au sein du Groupe Les Echos-Le Parisien sur la ménopause en avril 2022.

Ouverte à toutes les femmes et à tous les hommes du groupe, cette conférence a mis en avant les travaux de Cécile Charlap, Docteur en sociologie et maitre de conférence à l’université de Toulouse et auteur du livre « La fabrique de la ménopause ».

Durant 45 minutes, elle a expliqué aux salariés le concept de la ménopause sociale ou comment ce phénomène, naturel et universel, a engendré des conséquences dans la société… et dans les sociétés. Ensuite, l’infirmière de santé au travail a abordé les aspects physiologiques de la ménopause.

Beaucoup de réactions de la part des salariés sur l’organisation de cette conférence ont émergé. A tous les étages, le sujet a donné lieu à débats : des soutiens soulignant que donner des clefs de compréhension à tous permet de mieux appréhender ce phénomène naturel et temporaire, mais aussi des incompréhensions liées au sentiment de pointer uniquement les femmes ou des craintes de s’inscrire à la conférence signalant ainsi aux yeux de tous son intérêt pour le sujet (et de manière imaginée la proximité d’âge).

L’entreprise ne doit pas se substituer à l’école, à la société, aux échanges familiaux et amicaux. Elle ne peut cependant rester totalement à l’écart des thématiques qui, directement, engendrent des conséquences dans l’univers quotidien de l’entreprise.

Ces sujets ne peuvent être abordés avec militantisme et doivent toujours trouver le juste équilibre du respect de chacun dans ses convictions, notamment lorsqu’elles peuvent relever de l’intime.

Aux équipes RH de s’approprier ces sujets qui relèvent bien de sa fonction et de la responsabilité sociétale de l’entreprise !

Pour une DRH des savoirs

Lorsque les directions des ressources humaines sont appelées dans les médias, la question est très souvent identique. On y parle des tuyaux pour permettre aux salariés de répondre aux obligations du Code du Travail ou aux attentes des politiques.

En 2021, on a ainsi beaucoup parlé de télétravail, beaucoup de distribution de masques, beaucoup de flex office… et finalement si peu des salariés et de la nécessité de développer leurs savoirs.

Enfermer la fonction des ressources humaines dans la seule expertise de la mise en place, et ensuite de la gestion, des tuyaux, c’est lui redonner la place de direction du personnel. Celle dont elle a essayé de se détacher ses dernières années.

Faire des DRH des architectes du droit social, c’est oublier que l’atout premier des entreprises est les femmes et les hommes qui la composent, qui la font vivre et non les règles légales qui « régissent » les relations.

Le télétravail n’est pas le travail à distance des locaux habituels de l’entreprise, ni un accord régissant sa mise en œuvre. Le télétravail, c’est une modalité différente d’exercer son métier, modalité qui par essence, ne peut convenir à tous, ne peut être imposée à chacun. Réussir la mise en place du télétravail dans une entreprise ne se mesure pas au nombre des salariés ayant opté pour cela, mais à la capacité des femmes et des hommes de continuer à vivre ensemble, dans une même société, à distance.

Le flex office n’est pas l’outil premier d’économies financières souhaité lors d’une période de crise économique. L’aménagement des espaces, c’est réussir à proposer aux collaborateurs un cadre de travail alliant créativité et intimité, territoires collectifs et territoires individuels. Allier la puissance du collectif pour créer de la valeur sans perdre la création d’une zone individuelle personnalisée pour développer une sécurité psychologique, voilà des enjeux premiers.

Les sujets sont nombreux et ne peuvent être égrenés ici dans leur totalité.

Ce que nous a montré 2021, et les années de crise de la Covid 19, ce n’est pas l’importance du cadre mais la capacité de faire avec agilité, de faire confiance aux uns et aux autres.

Cela nous a montré aussi, si besoin en était, toute l’importance des savoirs. Combien de salariés ont été en capacité de se réinventer durant ces derniers mois où le cadre avait explosé ? Combien de salariés, dans le même temps, ont décroché car leurs valises de connaissances n’étaient pas assez riche pour affronter l’incertitude ?

Les tuyaux sont les circuits permettant de mettre en œuvre les décisions, ils ne peuvent être les décisions en elles-mêmes. Mélanger le message et le messager, c’est laisser à d’autres la force de construire le message.

Le rôle d’une direction des ressources humaines doit être, avant toute autre chose, celle des savoirs. Les savoirs-être, les savoirs faire. Se placer ainsi comme un accélérateur des compétences, comme une mise en valeur des connaissances est un rôle central. Cela doit être l’ADN de cette fonction.

Aymeric Vincent